[C'est arrivé près de chez vous] Hossegor Backyard Ultra 2023
L'esprit humain a quand même le chic pour inventer des trucs de zinzin : une intelligence artificielle capable de faire ton taf à ta place, des médocs pour quasi toutes les maladies du monde, des fringues qui ne prennent pas feu, un moyen d'aller sur la lune, mais surtout (et c'est le sujet du jour) des courses sans fin définie, où tu dois courir jusqu'à ce que plus personne ne soit en mesure de faire un pas de plus.
Le pire dans cette histoire, ce n'est pas que quelqu'un ait eu l'idée d'une course pareille, c'est qu'un paquet de gens sont ok pour remplir le bulletin d'inscription. À croire qu'on est court-circuités pour tenter de repousser nos limites.
La Backyard Ultra d'Hossegor 2023 fait partie de ces courses de maboule, couramment appelées “ultra distance”. Avec la particularité qu'il n'y a pas besoin de mettre la carte sur ta montre GPS.
Backyard Ultra ?
Le concept est simple : une boucle de 6.702 km, à répéter toutes les heures jusqu'à ce que plus personne ne continue. En clair, la course commence à midi le vendredi, et personne ne sait à quelle heure elle va se terminer. L'inconnu pour les coureurs, l'inconnu pour les organisateurs, l'inconnu pour les internets qui appuient sur F5 toutes les heures pour voir quel sera le dernier dossard à ne pas avoir DNF.
Le concept est né dans l'esprit tordu de Lazarus Lake, le génie à l'origine des courses les plus folles de la planète. Notamment la bien connue Barkley Marathons. Je vous laisse faire un petit tour sur Google si ça ne vous dit rien. Parole de scout, ça vaut le détour.
Bref, 6,702 toutes les heures. 4,167 miles — si on multiplie par 24, ça fait 100. 100 miles par jour. Ça ne s'invente pas.
Après des premières éditions aux USA (dans le jardin de Laz), la Backyard s'est exportée à travers le monde. Dans l'Hexagone, c'est Trail the World qui a pris le flambeau.
En septembre 2022, je m'étais mis sur liste d'attente (50eme et des poussières) pour l'édition 2023, à Hossegor. J'apprends avec plaisir le 22 mars que ça y est, un dossard est disponible pour moi. Me voilà donc embarqué pour l'édition numéro 3 de la Backyard d'Hossegor.
Hossegor 2023
On the road (again)
Nous prenons la route jeudi après-midi, direction la Nouvelle Aquitaine. Il fait beau, on s'entasse à 5 dans la Peugeot, la motivation est au sommet. 600 km, quelques pauses pipi, un blind test année 90's. Nous voilà arrivés sains et saufs dans le sud de l'Hexagone.
Une pizza, et au dodo. La journée de demain sera longue.
Le jour le plus long
Sur le papier, la course n'a pas grand-chose de sexy : tourner en rond, à l'infini, autour d'un lac. Éviter les mêmes branches, glisser sur les mêmes cailloux, écouter les mêmes blagues de Colin. Jusqu'à ce que le corps dise stop.
Retourner au même ravito. Encore. Délacer ses chaussures, remplir sa flasque. Encore et encore. Manger un bonbec, relacer ses chaussures, descendre à la ligne de départ. Encore, encore et encore.
11h55, on descend sur le tapis gris devant la ligne de départ. Allons voir si la pratique rejoint la théorie.
Top départ (une fois, deux fois, trois fois, …)
Nous voilà lancés, nous autres 220 fondus, sur le fameux tour de 6 kilomètres et des brouettes. Le temps est louche, on se croirait en Bretagne : il fait beau plusieurs fois par boucle.
On mixe maladroitement Kway et lunettes de soleil, on avale des fruits secs et des chips entre les tours, on papote tranquillement en alternant marche et course. Je peaufine mon talent en humour de répétition.
Je trace mes boucles avec Maxime et Florent, amigos de Courir à plusieurs, et David. On est parfois rejoints par Alban, souvent par Nico, deux autres copains de CàP.
Maxime a remporté l'édition 2022 de l'Île d'Aix. Il doit savoir ce qu'il fait, je me cale sur son rythme.
Top départ (quatre fois, cinq fois, six fois, …)
La notion du temps est assez étrange lors d'un Backyard. Les tours passent rapidement, les chiffres disent que c'est long. 53 minutes pour 6,7 km. 6h pour un marathon. Un marathon avec 6 retours aux stands, 6 lignes de départ, 6 fois à regarder les premiers DNF ne pas repartir.
On passe entre 6 et 7 minutes au ravito entre chaque boucle. Très long, quand on pense qu'on a seulement besoin de remplir notre flasque, choper un truc à manger, aérer un peu ses pieds, et repartir. Très court, quand on se rend compte à 57 que c'est déjà l'heure de repartir.
Tic tac tic tac.
Top départ (sept fois, huit fois, ,neuf fois, …)
Tout le monde semble trouver son rythme. On a trouvé le nôtre (enfin, on suit celui de Maxime). Les tours se suivent et se ressemblent, on double les mêmes groupes qui marchent, ils nous doublent quand on marche.
Nous croisons plein de fois la machine Claire Bannwarth, légende moderne de l'ultra, qui enchaine sans sourciller les tours en 58 minutes. Elle poussera d'ailleurs jusqu'à 48 tours, explosant par la même occasion le record de France féminin (précédemment détenu par… elle-même).
Top départ (dix fois, onze fois, ,douze fois, …)
Dans l'immense majorité des courses, quand on part “avec des potes”, en pratique on se contente de faire la route ensemble — une fois sur place, chacun trace son chemin.
La spécificité d'une Backyard, et ce qui en fait un événement unique, c'est qu'on fait vraiment la course avec ses potes. On court ensemble tout le temps (de toute façon, ça ne sert à rien d'aller vite), et même si certains vont à un rythme différent, on se retrouve toutes les heures au ravito.
Une course hyper rentable si tu aimes bien tes potes, et que t'as envie de faire des selfies réussis.
Top départ (treize fois, quatorze fois, demi-tour, et DNF)
Le treizième tour se fait pour la forme — j'aurais fait le tour de l'horloge (une fois) et du lac (treize fois), mais le genou réclame un arrêt définitif au stand, une douleur s'est réveillée depuis 2 tours déjà. Pas la peine de forcer et d'être sur le banc de touche pendant 6 mois.
Au compteur : 87 km. Je suis arrivé dans les temps pour repartir pour le quatorzième, je m'aligne histoire d'aller faire les 3 km restants — on va chercher le 1€ par kilomètre (c'est important d'avoir des principes). 1h30 du matin, après 13h30 autour d'un lac, je barre mon nom du tableau des participants. DNF.
(Re)tours
“Tu te rends compte qu'à l'heure qu'il est, Max est encore en train de courir ?”
Les copains continuent leurs tours. 16, puis 20, puis 26.
Maxime, lui, est toujours en course. On décolle en fin d'après-midi, laissant Maud seule gérer le ravitaillement de la machine.
On fait quelques kilomètres direction le camping. Des pizzas, encore. On marche tranquillement (enfin, comme des vieux estropiés) voir le coucher de soleil sur la mer. Retour au camping. On se glisse dans nos sacs de couchage. Une phrase résonne dans le chalet.
“Tu te rends compte qu'à l'heure qu'il est, Max est encore en train de courir ?”
La nuit se passe, on prend un petit-déjeuner, on repart. Retour en Bretagne en fin d'après-midi.
Fin de journée dans le canapé. La Backyard d'Hossegor n'est toujours pas terminée quand je vais me coucher. Une pensée me passe dans la tête.
“Tu te rends compte qu'à l'heure qu'il est, Max est encore en train de courir ?”
Au réveil, l'incroyable s'était produit : nouveau record de France (60 tours) pour Max, accompagné de Philippe Pollesel et Fabrice Puaud. Bluffé. Incroyable performance.
À l'année prochaine !
Une grosse pensée pour Maud, qui a tenu la barre du ravitaillement de Max pendant ces 60 heures, un grand merci à Brenda pour son soutien entre les tours, merci aux copains de Courir à Plusieurs pour ce week-end de furieux, et merci à la communauté de l'ultra running pour être toujours aussi fondue. Changez rien, vous êtes les meilleurs.
Et à l'année prochaine !