À propos de l'entraînement à jeun
La première semaine des vacances scolaires de février, j'ai décidé de tenter une expérience : partir courir une douzaine de kilomètres tous les matins, à jeun. Le week-end du 19 février, j'ai même poussé le bouchon un peu plus loin : tenter de courir 4h à jeun. Et là, je sais ce que vous pensez : mais pourquoi, oh pourquoi s'infliger une telle torture ?
“Taper dans le gras”
On entend souvent que pour perdre du poids, il est bon de courir à jeun, car on va “taper dans le gras”. Spoiler : même si la raison d'être de ces sorties à jeun était bien de “taper dans le gras”, ce n'était pas du tout dans un objectif de perte de poids, mais pour autre chose :)
Bon Colin, t'es sympa, mais en clair ça veut dire quoi “taper dans le gras” ? Pourquoi tu veux t'entraîner à faire ça et pourquoi on conseille de faire ça pour le poids ?
Faisons un petit résumé (avec quelques raccourcis scientifiques, l'idée est plutôt de comprendre de quoi on parle) de ce qu'il se passe dans votre corps quand vous courrez. Quand on fait de l'exercice, le corps a besoin d'énergie (bon là, je ne vous apprends pas grand-chose). Cette énergie, votre corps va la produire via une molécule appelée l'ATP (adénosine-triphosphate)), qui est produite par la “combustion” de notre alimentation par notre organisme.
“Your energy system breaks down carbohydrates, fats, and proteins, and then uses that energy to create ATP. It's ATP that provides the energy you need to run”. Build Your Running Body
Chaque matin, vos muscles se réveillent avec une réserve d'ATP pour la journée. Malheureusement, cette réserve est courte, tout au plus quelques minutes si vous restez allongé dans votre lit, et quelques dizaines de secondes si vous vous mettez à courir. Autrement dit, ces molécules d'ATP sont continuellement recyclées et reproduites par votre corps, vous ne pouvez pas vous reposer longtemps sur vos ressources. Et pour se régénérer, elles ont besoin de carburant.
3 gaillards pointent le bout de leur nez quand votre niveau d'ATP est faible :
- Le système phosphagène, premier sur les lieux, qui réussira à maintenir le niveau d'ATP pendant 10 à 20 secondes, le temps qu'un autre membre de la famille prenne la relève.
- Le système de la glycolyse, second sur les lieux, qui vous vous en doutez pioche dans la réserve de glycogène — d'abord dans le glucose, une énergie accessible directement et rapidement, mais disponible en quantité limitée, puis dans les glucides, disponibles moins rapidement, mais en quantité plus élevée.
- Et enfin, quand les deux premiers ont rendu les armes, l'organisme va aller piocher dans les graisses qui sont stockées dans notre corps. Autant le dire tout de suite, cela met un peu de temps avant d'en arriver à ce stade. Généralement, on n'attaque pas cette source d'énergie sur les efforts de courte durée… à moins d'aller courir à jeun ;)
À noter que bien sûr, la distinction n'est pas si nette que ça, les filières graisses et glycogènes sont souvent utilisées en même temps, dans des dosages variables.
Entraînement à jeun et longue distance
Sur une course, un coureur va d'abord avoir besoin d'un apport en glucose et en glucides : c'est d'ailleurs ceux dont on parle le plus — mangez des pâtes et prenez des gels coup de fouet, et tout ira pour le mieux.
Mais les choses se compliquent quand on court plus longtemps : si je prends au pied de la lettre ce que me raconte Garmin et Strava, ma consommation de calories par heure oscille entre 600 et 700 de l'heure lorsque je cours. Ces calories, il faut bien les trouver quelque part. Sur une course de 6h, 12h, voire 24h, pas évident de se dire qu'on va avaler 24 x 650 calories — il va être plus efficace (et plus tendre pour votre estomac) de puiser efficacement dans les réserves de graisses, plutôt que de se forcer à ingurgiter une bombe de sucre toutes les 30 minutes. Surtout que, point important, la filière des graisses est (presque) inépuisable, même si l'on est maigre : savoir l'utiliser efficacement vous permettre de maintenir un effort prolongé, car les réserves de graisses sont immenses et peuvent alimenter la création de l'ATP pendant de nombreuses heures. Autant dire qu'il s'agit d'une source de carburant très intéressante quand on est un coureur de longues distances.
Comme toute chose quand on parle de sport, la sollicitation de l'usage des graisses pour soutenir l'effort s'entraîne. Cependant, pas facile de programmer des séances “normales” où l'on va travailler en carence de glycogène, puisqu'il faudra d'abord passer du temps à vider notre réserve, avant de vraiment pouvoir vraiment solliciter la filière graisse.
On en revient ainsi au thème de ce billet : l'astuce est de courir à jeun, c'est-à-dire après avoir passé un bon nombre d'heures sans manger (ce qui correspond souvent à un entraînement au réveil, mais je ne suis pas là pour vous dicter l'ordre de vos repas). Alors la prochaine fois, oubliez le petit-déjeuner et allez courir quelques bornes au saut du lit ;)
“S'entrainer à jeun est le moyen le plus simple de courir en état de carence de glycogène, d'obliger le corps à utiliser les graisses et donc d'améliorer la puissance lipidique (quantité de graisse utilisée par minute par un coureur pour produire de l'énergie)” Running – Les Secrets de l’Entraînement Kenyan: Voyage au cœur de la réussite kenyane
Voilà donc la raison de ces longs courses matinales : si vous me croisez de bonne heure sur les chemins bretons, ce n'est pas que je suis tombé du lit, c'est une séance spécifique de mon entraînements !