[C'est arrivé près de chez vous] La Diagonale des Fous 2024
Finir la Diagonale des Fous était pour moi une étape importante de mon parcours personnel. Je me m'épancherai pas plus sur ce point sur ce blog, j'en cause sur ce post Instagram, jetez-y un œil si vous voulez en savoir plus.
Ici, je vais plutôt vous raconter ma course. Et spoiler : ça va être long 😅
Note : je raconte tout ici en combinant ma mémoire et la lecture de mes passages sur LiveTrail, il est probable qu'il y ait quelques inexactitudes.
Hello la Réunion
Je vais commencer par un détail qui peut en intéresser certains : combien ça coûte une Diag ? J'ai pris un package avec Bourbon Voyage lors de la première vague de package, avec avion inclus depuis Orly, 3 nuits d'hotel au Select, l'assurance, et le dossard, pour un total de 1614€.
Le voyage démarre le dimanche après-midi — je me fais déposer à la gare de Rennes, je rejoins Paris en train, j'emprunte une navette, et j'attends l'avion. À l'aéroport, je retrouve l'ami Julien, copain de Courir à Plusieurs qui partagera un bon bout du séjour avec moi : même avion, même hôtel pendant les trois premiers jours, puis quelques aventures post Diag comme l'ascension du Piton des Neiges pour y voir le lever du soleil.
11h30 de vol plus tard, nous voilà sur l'Île Intense. On récupère nos valises, et on s'arrête au pot d'accueil réservé aux raideurs à la sortie de l'aéroport. On échange quelques mots avec les bénévoles, on boit un café, on récupère une paire de manchons (trop petits pour moi 😅) et on saute dans le bus, où je discute avec un Breton venu faire sa deuxième Diagonale. Nous voilà arrivés à destination.
Le lundi passe plutôt rapidement, on se pose à l'hôtel, je vais me dérouiller les jambes rapidement le long de la mer, on mange tôt, on se couche tôt (il faut croire qu'on a besoin de repos).
Le lendemain, on récupère la voiture de location et on part pour une reconnaissance d'une partie du parcours, le célèbre Chemin des Anglais. 30 minutes dans un sens, 30 minutes dans l'autre, on saisit rapidement que cette section du parcours ne va pas être une partie de rigolade. Encore plus en fonction de l'heure où on y passera.
On se dit qu'on a bien fait de venir voir de quoi il en retourne.
Retrait des dossards
Le mercredi, on attaque le premier chantier : la récupération des dossards. Lors des éditions précédentes, la remise pour la Diag se faisait de 07h30 à 12h, avec les autres courses plus tard dans la journée. Cette année, la remise des dossards se tient toute la journée, de 07h30 à 19h, et pour toutes les courses. Malheureusement, les coureurs ont gardé les bonnes vieilles habitudes — d'après les messages vus sur les groupes Facebook, ça faisait déjà la queue à 6h du matin. À l'inverse, il n'y avait quasiment plus personne en fin de journée… mais apparemment, il n'y avait plus de tshirts à la bonne taille, certains coureurs se sont retrouvés avec du S alors qu'ils avaient demandé du L… pas pratique pour une course qui impose de porter le tshirt de la course au départ et à l'arrivée. Bref, pour une édition future, ça vaut peut-être le coup de se déplacer en milieu de journée plutôt que de venir dès le matin.
On ne se presse pas le mercredi matin (on est sur St Denis, on a un peu de route), et on arrive sur Saint Pierre en fin de matinée. On mettra 1h30 à trouver une place pour se garer (et quand on est repartis, vers 14h30, le parking était vide). Une fois sur place, récupérer le dossard est assez rapide (même pas dix minutes), mais on se trouve rapidement dans une seconde file — on attend pour récupérer la casquette, et pour faire le tour des sponsors. C'est parti pour une heure trente d'attente, et on repart les poches pleines de goodies.
On part ensuite récupérer les clés du logement que j'occuperai jusqu'à la fin de mon séjour, et on rentre à l'hôtel pour une dernière nuit sur Saint-Denis.
Jour J
Un jeudi pas comme les autres
Le réveil sonne tôt le jeudi matin car on doit aller chercher le reste de la famille qui arrive en avion de Paris. Une fois la tribu réunie, on part tranquillement au logement, on prépare les sacs avec minutie, et on va manger un morceau avec des copains. Tentative de sieste infructueuse à 14h — je suis tellement calibré pour la micro sieste que l'après midi, je n'arrive jamais à dormir plus de 10 minutes. Mais je reste allongé, ça repose malgré tout.
Dernier repas vers 19h, puis on saute dans la voiture pour aller rejoindre le lieu de départ de la navette. On tourne un peu dans Saint-Pierre : le lieu indiqué sur la brochure de la course ne nous amène pas exactement au point de départ de la navette lorsqu'on l'entre dans le GPS. On finit par s'y retrouver.
Dans la queue, on discute avec des gens derrière nous, et j'apprends qu'ils habitent… à 500m de chez moi 😅 La Diag semble être un véritable repère de Bretons, la suite de la course me le confirmera.
On arrive avec Julien au départ. Derniers au revoir à la famille, on dépose nos sacs pour les bases de vie, on boit un café au ravito du départ, et on rentre dans nos SAS (Julien est SAS 2, je suis SAS 3).
Top départ
Le coup d'envoi est donné à 22h pile. La foule est immense, intense. Je n'ai jamais vu ça sur une course. J'ai une sensation d'état de choc, je suis soudainement confiné dans ma bulle, je traverse la fête d'une traite, en regardant droit devant moi. Je garde au fond de ma tête que si je ne veux pas être coincé dans les bouchons, il vaut mieux que j'avance — je suis parti SAS 3, il y a du monde devant moi.
Saint-Pierre - Cilaos
Saint-Pierre - Domaine Vidot
Cette première portion est (très) roulante : ville, puis de la départementale et des chemins de champs de canne, larges et sans difficultés. Seul souci : je transpire énormément en ce début de course, et on ne peut pas encore changer de t-shirt. J'ai celui de la course, porté au départ, que nous devons garder jusqu'au second point de contrôle, à Vidot. Pas très gênant pour la partie ville, il fait chaud, mais quand on sort soudainement de la fournaise de Saint Pierre, l'air est frais.
Je continue d'appuyer pour rejoindre Vidot le plus rapidement possible, ce que je fais en 1h50 (pour 14km et 650 de D+, plutôt content de moi). Je change de tshirt, rempli mes flasques, mange un morceau, et je repars.
Domaine Vidot - Nez de Boeuf
La météo n'est pas folichonne, on a le droit à du froid et de la pluie. Sur cette partie, beaucoup de route.
Le parcours a gagné quelques kilomètres pour éviter les bouchons. J'évite ces derniers, ou presque : quelques minutes à piétiner dans les chemins mais rien de bloquant. Je lirais plus tard sur Facebook que certains n'ont pas eu la même expérience et au contraire ont eu beaucoup de bouchons. J'ai eu la chance de les éviter, je crois que j'ai bien fait de me presser au départ.
Je grimpe vers Notre Dame de la Paix de nuit (je ne peux donc pas vous parler du paysage), avant de voir la nuit se terminer aux alentours de Nez de Boeuf. Il est 6h du matin, j'ai fait 45km et 2000m de D+.
À ce moment, je réalise que bien qu'étant très efficace en montée (je gagne des places dès que ça monte), j'ai tendance à me faire doubler sur le plat ou quand ça descend. Il va falloir composer avec ça.
Nez de Boeuf - Mare à Boue
Je repars tranquillement de Nez de Boeuf après un bouillon de légumes, quelques fruits, et un plein de flasque. Le parcours passe dans de chouette trails plats mais accidentés, passant au travers des buissons, puis au milieu des pâturages.
Le levé du jour fait toujours du bien au moral, et bonne nouvelle, à la Réunion il arrive tôt — 05h30 à cette époque de l'année. Les chemins sont sans difficultés particulières sur la portion jusque Mare à Boue — on a même le droit à un peu de route.
Mon amoureuse m'attend au ravito et je suis pressé de la voir. Même si ce n'est que pour une dizaine de minutes, ça fait un bien fou. Nico, un copain sur l'Île pendant la Diag, fera également quelques mètres avec moi.
Y'a pas à dire, ça redonne de la motivation.
Mare à Boue - Cilaos
Nous voici dans la partie de la course faite pour les Bretons : Mare à Boue. Comme son nom l'indique… c'est trempé, et glissant. Des années de trails bretons m'y ont préparé, je passe tranquillement cette portion avec l'impression d'être à la maison.
Ensuite, on va s'enquiller une belle montée : Coteau Kerveguen (encore un nom breton). De Mare à Boue jusqu'à Croisée Coteau Kerveguen, on va se manger 1000m de D+ en 12 bornes. J'ai une bonne technique en montée, à aucun moment je ne subis. Quand je vais chercher l'amplitude haute et que je pousse sur les cuisses, je n'ai à aucun moment l'impression de “forcer dur”. Je remercie les heures de musculation avec charge lourde faites ces dernières années.
La montée se fait sans trop d'encombres, un bon paquet de cailloux au programme mais c'est ce qu'on est venus chercher. Je sens qu'il est l'heure d'une micro sieste, je me mets un réveil pour 10 minutes, je me réveille au bout de 6.
Arrivés à Croisée Coteau Kerveguen, nous sommes au point culminant du parcours. Je comprendrais une semaine plus tard, en revenant, que je me trouve sur le chemin vers le Piton des Neiges.
J'avais en tête que la descente qui allait suivre allait faire mal. Ma prédiction était juste — un véritable calvaire que cette descente du Bloc. Il y a quelques temps je me suis rendu compte que j'ai le réflexe de descendre les hauteurs en mettant le pied droit en premier, mauvaise habitude causée par protection d'une cheville gauche fragile. Résultat, je perds du temps et de l'énergie dans cette descente, et je me fais pas mal doubler. Je serre les dents et j'encaisse. Ça sera le seul moment de ma course où j'aurai l'impression de la subir.
J'arrive à Cilaos à 14h30, première base de vie. Je fais la queue pour récupérer mon sac, et je me dis que j'ai été un peu con de ne pas avoir pris de quoi prendre une douche… à garder en tête pour une prochaine fois.
Je me rince et me change dans les vestiaires, le sol est trempé et je cherche où me poser. Je sors tout mon sac, je m'éparpille un peu. Un mec devant moi jette un oeil à mon tour de cou et me lance “Attends, tu connais ce trail ? (le Tertre Gris). Excellent, c'est à côté de chez moi !". Encore un Breton, et encore un qui habite pas loin de chez moi 😅
Je reprends le fil de mon changement de sac, en me disant que la prochaine fois, je m'écris une TODO, plutôt que de galérer à avoir toutes mes affaires devant moi et de devoir réfléchir à quoi en faire.
Une fois “propre” (les guillemets sont importants), j'enfile une paire de chaussettes… qui s'éclate en deux. J'avais prévu de changer de chaussettes tous les 30/35 km, mais il va falloir continuer avec une seule paire jusqu'à la prochaine base de vie.
Je tente 10 minutes de sieste sous la tente dédiée, avant d'aller chercher un plat de riz. En sortant du ravito, la pluie se lève. J'enfile ma veste, et c'est reparti.
Cilaos - Savannah
Cilaos - Marla
Il pleut, et j'entre dans la forêt qui prend la direction de la cascade de Bras Rouge. Ce passage est tout simplement incroyable. La végétation est luxuriante, j'entends les oiseaux, et j'arrive à passer 2 ou 3 km sans voir personne. Quel bonheur ! Un de mes meilleurs souvenirs de cette course.
Je reviendrai une semaine plus tard pour une sortie trail sous le soleil qui confirmera la beauté des lieux.
On entame l'ascension du Taïbit — environ 1000m de dénivelé à manger jusqu'en haut. Sur la droite se dresse une sorte de guinguette, où je déguste la célèbre Tisane Ascenseur — une infusion locale réputée donner un coup de fouet pendant l'ascension. Hors de question que je rate cette partie du folklore de la Diag, j'avale une tasse sans hésiter. En plus, il pleut encore, autant dire qu’un peu de chaleur ne me fait pas de mal.
Je poursuis l'ascension. On est à un point de non retour de la course — une fois passé le Taïbit, on entre dans le cirque de Mafate, paradis du traileur mais présentant la particularité d'être isolé au point d'être inaccessible en voiture. Les raideurs sont prévenus : si vous entrez dans le cirque de Mafate, le seul moyen d'en sortir est sur ses deux pieds. Pas de retour en bus ou de voiture pour venir vous chercher si vous abandonnez. Éventuellement, l'hélico viendra vous chercher si l'assistance médicale le juge nécessaire.
Des coureurs font demi-tour pendant l'ascension. J'imagine que la pluie qui tombe depuis plusieurs heures finit d'entamer la motivation de ceux-là. La pente est raide, la météo difficile, et on entre dans l'une des parties les plus compliquées de la course. Mais si on est pas venus chercher ça, on est venus ici pour quoi ?
On arrive au Col du Taïbit (2080m) — il fait nuit, il pleut, encore une vue dont je ne profiterai pas 😅. Go redescendre jusqu'à Marla, 1600m d'altitude. Ça y est, on est dans Mafate.
La course commence ici, il parait.
Marla - Aurère
J'arrive à Marla trempé, mais avec le sourire. Jusqu'ici, la course s'est bien passée — si on oublie la descente du Bloc, je passe une superbe course, à aucun moment je n'ai l'impression de subir. Je me sens à ma place.
À Marla, un bouillon de légumes pour me réchauffer, quelques fruits, je m'assoie quelques minutes sous un chapiteau que les bénévoles s'efforcent de manipuler pour faire partir les poches d'eau de pluie qui s'accumulent sur le toit. On nous invite à repartir parce que “promis à quelques kilomètres d'ici il ne pleut plus”. De toute façon, je ne comptais pas m'éterniser…
J'avance vers Plaine des Merles, espérant un bout de lit pour une micro sieste — l'idée de dormir au bord du chemin sous la pluie ne me ravit pas vraiment… Une fois sur place, tous les lits sont occupés, et une bénévole me dit “Jusqu'à Aurère, c'est que de la descente, c'est roulant, et il y a beaucoup plus de lits”. Je me doute qu'on est sur une définition du “roulant” et du “c'est que de la descente” propre à la Réunion, mais je me vois mal attendre ici qu'un lit se libère, je pars donc vers ce ravito. L'envie de rejoindre Aurère me booste un peu, et je cours les portions suivantes. Bon souvenir du Sentier Scout, avalé en trottinant. Souvenir aussi d'un passage vertigineux à flanc de falaise, accompagné d'un chien qui ne devait pas avoir plus de quelques mois (qu'est-ce qu'il faisait là en pleine nuit, c'est une question dont je n'ai pas la réponse).
Le sommeil pèse, je sens qu'il est vraiment temps que je fasse un stop. Si vous êtes comme moi adepte de la micro sieste, vous savez qu'il y a une règle : il faut la faire exactement au moment où vous sentez qu'il est temps.
Je déplie ma couverture de survie sur le bord d'un chemin. Je découvre qu’une couverture de survie, c'est minuscule dans le sac, mais immense en vrai. Et que oui, ça tient vraiment chaud quand on est dedans. Je mets le réveil pour 10 minutes, je m'endors et me réveille au bout de 8. Une odeur étrange me monte aux narines. Ah, c'est moi. Les heures sous la veste et la pluie n'ont pas suffisamment aéré le bonhomme qui transpire beaucoup.
J'arrive à Aurère. Plus besoin de faire une sieste.
Aurère - Savannah
Voilà un moment qu’on commence à se faire doubler par des coureurs aux dossards bleu, lancés sur la Bourbon. “À droite”, “À gauche”, au départ, c'est un peu rare, puis plus le temps passe plus c'est rapproché.
La Bourbon est partie de Cilaos à 21h, et suit l'exact parcours de la Diagonale des Fous. En clair, 23h après le départ de la Diag, on dépose un paquet de gens frais au km 75, et on les envoie sur le même parcours. Vraiment le seul point noir de cette édition à mes yeux — c'est déjà relou sur le trail à la saucisse avec 300 traileurs, mais là on est sur un autre level. Beaucoup de moments où le rythme est coupé par des runners de la Bourbon bien plus frais, à devoir se garer pour les laisser passer. Le point positif, c'est le petit coup de boost au moral de doubler des dossards bleu sur la fin de la course.
Depuis quelques descentes, mes pieds piquent. Un paquet d'ampoules se sont crées sur chaque pieds, et ce n'est pas hyper confortable dans le D-. Et voilà qu’on traverse une rivière. Vous savez ce qui déclenche les ampoules ? L'humidité. J'enlève mes chaussures et mes chaussettes, et je tente de sécher tant bien que mal avec un buff mes pieds de l'autre côté. Pour couronner le tout, je n'ai pas de chaussettes de rechange (j'ai pété une paire à Cilaos).
Le secret pour surmonter les ampoules, c'est surtout l'état d'esprit. La douleur est présente, mais on sait que ça ne peut pas s'empirer, à l'inverse d'une autre douleur. Il faut mettre son esprit en mode “ça fait mal, mais accepte, ferme la et avance”. Tentez sur votre prochain course.
Je m'arrête malgré tout à Ilet des Orangers où je sais que je vais trouver des infirmières, au moins pour percer les ampoules et straper les pieds. Le soleil se lève pendant que je suis dans la tente de l'infirmière, j'y reste une trentaine de minutes.
Me voilà reparti pour la suite, on va se manger un des gros morceaux de cette Diag — la montée du Col du Maïdo. On part de l'Ilet à 985m, pour aller tout en haut du col à 2027, le tout en 6 km. Un petit KV (ou presque) pour le petit déjeuner, que demander de mieux 🥰
J'entame l'ascension avec la motivation de celui qui va revoir sa chérie et ses copains en haut. Il est tôt, mais la chaleur commence déjà à taper. Je lance : “je plains ceux qui le feront d'ici quelques heures”. On me rassure en me disant que sur Mafate, la brune tombe rapidement, et qu'en fin de matinée l'air est déjà plus frais. Je me sens bon en montée, j'ai une bonne puissance, l'ascension se passe bien, et l'ambiance en haut est juste incroyable. Des dizaines de gens qui encouragent, des cornes de brume qui chantent, une ambiance folle qu'on ne retrouve qu'à la Diag.
Un petit groupe m'attend, je m'assoie dans une chaise de camping qui traine là, déguste quelques chips, change de tshirt (oui, Savannah est proche, mais l'odeur commençait à être problématique 🤐), et c'est reparti.
Sur le profil, j'étais un peu inquiet de la portion suivante — 20 km et 2000 de D-, surtout sachant que la descente n'est pas mon point fort. En pratique, ça s'est passé mieux que prévu. La descente devient rapidement roulante (pour la Réunion hein, on s'entend), et je peux trottiner tranquillement. On arrive dans des chemins forestiers, un peu de route, des terrains pas forcément techniques que j'avale mieux que prévu. Sur la fin de cette descente, je me mets un peu de musique, seul moment de la course où j'en ai ressenti le besoin.
On zigzag dans la ville avant d'arriver à Savannah, un dernier chemin un peu technique et nous y voilà
Savannah - Saint Denis
Ici, pas de douche, mais quelques jets d'eau pour se rafraichir. Ça fait du bien malgré tout. Je replonge dans mon sac de délestage pour mettre le sac d'hydratation à jour. Toujours la même remarque : il faut que je m'organise mieux, c'est dommage d'improviser.
Je profite d'être à la seconde base de vie pour aller voir des podologues, qui charcuteront mes pieds à deux pendant 30 minutes (oui, c'était à ce niveau là, les ampoules). Je repars avec des ampoules vides et des pieds re-strapés.
Quelques heures plus tôt, quelqu'un m'a dit “si t'arrives frais à Savannah, tu peux gagner 200 places”. Mon classement ne m'importe pas vraiment, mais doubler du monde dans le dernier tiers d'une course reste un signe positif, qui valide une stratégie de pacing efficace — si on a bien géré sa course, on passe en mode pacman les coureurs qui se sont cramés et qui vous ont doublé plus tôt. Je fais un check complet : pas de bobos ou de gênes, fatigué mais c'est normal, pas de coup au moral. Je vais bien et il ne me reste que 35 kilomètres. Les grosses difficultés (en terme de dénivelé) me semble être derrière moi.
Go terminer la course.
La prochaine partie de course intègre deux célèbres portions de la Diag — Kalla et le chemin Ratinaud. Kalla est plus court et plus pentu, on met les mains, on se tient aux branches et aux lianes. Ratinaud est tout aussi bordélique, mais plus long et moins pentu. On me les avait présentés comme l'enfer sur terre, mais j'ai l'impression de les passer… normalement ? Après tout ce qu'on s'est mangé jusqu'ici, et après toutes les séances “jardinage” en Bretagne, je n'ai pas la sensation de subir ces deux chemins. Au contraire, je me rappelle que c'est pour ça que je suis là. C'est ça que je suis venu chercher.
J'arrive à la Possession. Il fait chaud, et le soleil est en train de se coucher. Ici, la nuit tombe vite — j'entre dans le ravito de jour, j'y reste à peine 5 minutes, et je dois mettre ma frontale quand je sors. Je traverse la Possession pour rejoindre le Chemin des Anglais. J'ai un souvenir fort de ce moment dans La Possesion, une de ces ambiances qu'on ne vit qu'en Ultra. Je suis là, bardé de tout mon matos de trail, dans l'effort depuis 44h, et je traverse cette ville qui ne s'est pas arrêtée de vivre pour nous. Les passants passent, les voitures roulent, l'ambiance est chaleureuse, tous encouragent les coureurs, mais je ne peux m'empêcher de me sentir un peu comme un alien dans ce monde qui a continué de tourner sans nous.
J'arrive sur le Chemin des Anglais. Je savais à quoi m'en tenir, on avait fait la reco. À la frontale, c'est un peu différent, mais avec de la patience et un peu de concentration, ça passe.
J'arrive en bas de la Grande Chaloupe, direction le Colorado. La première partie se passe plutôt bien, mais soudain le terrain se corse. La boue devient omniprésente, et je ne sais pas pourquoi, mais mes chaussures ne tiennent plus en place. Je n'arrête pas de glisser, j'entame une véritable danse incontrôlée et incontrôlable sur les chemins boueux. Les chaussures ont pourtant supporté la boue bretonne, la fatigue est peut-être responsable. Je fais même une chute en mode crêpe à un moment où il faut monter une pente en se tenant à une corde. Je galère un peu sur cette partie de course, qui heureusement n'est pas si longue.
Colorado arrive. J'enfile mon tshirt du Grand Raid, le règlement stipule qu'on doit l'avoir du dernier ravito à la fin. La fameuse descente du Colorado m'attend. C'est la dernière portion de la course, mais pas la plus simple. Le chemin descend en lacet, le sol est couvert de roches et de racines couverts de boue, rendant le tout hyper glissant. J'attaque la descente tranquillement, le chemin est bondé, j'avance à l'allure du groupe.
Dans la descente, je me fais bousculer par trois coureurs de la Bourbon qui crient “Poussez vous on a un objectif !” Trois créoles derrière moi éclatent de rire. “Un objectif ? Objectif quoi, 27h ? Le podium il est loin les gars.” Ça détend l'atmosphère, ils ont tellement raison. Ridicule de pousser des coureurs dans une descente aussi technique pour un “objectif”.
J'arrive en bas de la descente, le chemin s'élargit. J'ai pris l'habitude, pour la blague, de terminer mes courses au sprint, “à la Zach Miller”. Oui, c'est absurde, je sais. Mais je ne suis plus à ça près. Je lance au coureur à côté de moi : “Allez, ça se finit au sprint, comme Zach Miller”. Je me surprends à pouvoir sprinter. 3'50 d'après ma montre.
J'entre dans le Stade de la Redoute. Il est minuit moins quelques minutes. L'ambiance est absolument folle, digne d'un samedi soir. Il y a tellement de monde qu'on aurait presque du mal à passer. Je lève les bras. J'ai du mal à réaliser ce qu'il se passe. Ma fille me voit et fonce vers moi. On court ensemble les quelques mètres qui nous séparent de l'arche.
Je m'arrête. 184.8 km, 10.890 m de dénivelé, et 49h58 me séparent de Saint-Pierre.
Ma gorge se noue, puis je fonds en larme. Ma fille qui est là se met aussi à pleurer. Je vois mon amoureuse, elle fond en larmes également. On se prend tous dans les bras.
Difficile de décrire les émotions que je ressens à ce moment — tout se mélange : du bonheur, du soulagement, beaucoup de fierté, un peu de choc. J'ai fait la course que je voulais faire. Une course pleine, que je n'ai subi à aucun moment. À chaque moment de cette course, je me suis senti à ma place. C'est là que je voulais être, c'est ça que je voulais faire.
En même temps, un petit état de choc : ça y est, c'est fait. Celles et ceux qui me lisent et qui ont déjà terminé un ultra le savent. Ce moment où l'on met notre montre sur stop, parce que ça y est, c'est finit. On est arrivés. Des années de rêves, des mois de prépa, des heures d'effort, et soudain, en une fraction de seconde, c'est terminé.
Une page se tourne. C'est soudain, abrupte.
À bientôt La Réunion !
En sortant de cette course je me suis dis que je ne reviendrais surement pas. Que c'était beaucoup de logistique, d'investissement, de prépa, et qu'il y avait tant d'autres courses à faire.
Puis, j'ai passé deux semaines sur l'île, dont on est tout simplement tombés amoureux. Et surtout, c'est vraiment une course où je me suis senti à ma place de bout en bout. Une course au paysage incroyable, à l'ambiance hors normes, sur une île qui vibre pour le Grand Raid pendant une semaine.
Alors oui, j'ai déjà envie de revenir…
Et en attendant ? Je ne sais pas encore. Qu'est-ce qu'on fait quand on termine cette échéance qu'on planifie depuis tant d'années ? Qu'est-ce qu'on fait quand on a terminé l'une des courses les plus dures du calendrier, dans l'un des endroits les plus beaux de la planète ? Qu'on s'est prouvé qu'on pouvait tenir sur nos deux jambes pendant 185km ?
On continue d'avancer, c'est sûr, mais la nostalgie est déjà là. Et les prochains objectifs auront une saveur toute particulière.
Un bilan perso en bullet points
Ce qui a fonctionné
Physique
- Fort en montée, merci la musculation
- Une “foulée de cent bornard” mobilisable tout le temps sur la course
- Aucune douleur ou gêne anormale sur le bas du corps
- Aucune douleur ou gêne au niveau du haut du corps et de la posture
- Bonne gestion du sommeil
Alimentation
- Aucun soucis digestifs, pas de vomissement ou de problème de transit
- J'arrive à manger tout le temps
- RAS sur l'hydratation
Mental
- Focus réussi dans les moments clés
- Zéro envie de DNF, le mot ne m'a même pas traversé l'esprit
- Je me suis toujours senti à ma place
Logistique
- Globalement, j'ai utilisé tout ce qui était sur ma checklist matos
Ce qui n'a pas fonctionné
Physique
- Difficultés en descente technique (quand il y a des marches notamment), à cause d'un geste préservateur pour ma cheville
- Transpiration abondante, relou
- Beaucoup d'ampoules
Alimentation
- Penser à varier les ravitos perso, marre des pâtes de fruits et des Clif Bar
- Quelques sensations de “ventre vide” à des moments
Mental
- Quelques pertes de focus quand :
- ça piétine
- y'a de la route
- la fatigue s'est invitée
Logistique
- Mieux gérer le sac sur les bases de vie en faisant des TODO
Comme d'hab, c'est sur mon Strava :