Courir en chaussures minimalistes
Des chaussures à orteils ?
Dans le petit monde des internets, il existe une BD appelée xkcd. Dans l'encore plus petit monde des amateurs de xkcd, on entend souvent cette blague : “there is an xkcd for everything".
C'est le cas pour notre sujet du jour :
Petite traduction pour les non-anglophones :
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− “Pour avoir sauvé mon royaume, je t'offre un cadeau d'une grande puissance…”
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− “… Ces chaussures magiques te permettront de fuir la mort.
” − “Merci, je…” -
− “… Woaw mais attends, c'est une paire de ces chaussures bizarres à orteils.”
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− “Mais elles te rendront immortel.“
− “Il faut que je réfléchisse…”
Et effectivement, on est parfois regardé de la tête aux pieds quand on court en Five Fingers…
Il y a quelques années, acheter des Five Fingers m'avait déjà traversé la tête : à l'époque, j'en avais entendu du bien côté ergonomie de course, et ça me semblait être un bon moyen de prendre moins de place dans la valise quand on est souvent en déplacement. Puis, fin du monde oblige, les déplacements ont stoppé, mais lire Born to Run a relancé l'idée. C'était décidé, il fallait que je m'y mette.
L'automne dernier, donc, j'ai franchi le pas et commandé ma première paire de Five Fingers, tout en me penchant un peu plus sur la “scientificité” de deux discours qui se contredisent : les marques vous promettant coussin-ressort-en-sac-bulle-d'air-endorphine-sous-les-orteils, et les adeptes du minimalisme, arguant qu’aucune invention ne pourra rivaliser avec le bijou technologique qu'est notre pied.
Philosophie et science du minimalisme en course en pied
(Mais quel titre pompeux Colin !)
Philosophie
D'abord, il faut s'avouer que le minimalisme en course à pied a quelque chose de séduisant : l'être humain court sur ses deux pieds depuis des millénaires, et seulement depuis 50 ans dans des chaussures avec des technologies de protection/correction de nos petons. (Ce qui correspond, bizarrement, à l'apparition des blessures du coureur moderne).
Cette tradition ancestrale, est-ce que nous l'avons perdue ? Est-ce qu'il n'est pas temps de renouer avec notre côté “animal”, en laissant nos pieds entrer en contact avec les spécificités du sol ? Est-ce que le plus intelligent n'est pas de faire confiance à notre corps ? Et surtout, avons-nous besoin de toutes ces technologies autour de nos orteils pour apprécier une activité qui nous définit en tant qu'espèce ?
Science
Dans son ouvrage Born to Run, Christopher McDougall interviewe Dr Daniel Lieberman, professeur à l'Université d'Harvard, qui dira :
“A lot of foot and knee injuries that are currently plaguing us are actually caused by people running with shoes that actually make our feet weak, cause us to overpronate, give us knee problems. Until 1972, when the modern athletic shoe was invented by Nike, people ran in very thin-soled shoes, had strong feet, and had much lower incidence of knee injuries.”
— (La majorité des blessures aux pieds et aux genoux que nous rencontrons aujourd'hui sont en fait causées par des chaussures qui rendent notre pied faible, génère une sur-pronation, et nous crée des problèmes aux genoux. Jusqu'en 1972, année de l'invention des chaussures modernes par Nike, les gens couraient avec des chaussures à semelles fines, avaient des pieds plus forts, et bien moins de blessures aux genoux)
Dans la même veine, on retrouve l'article de C E Richards et al. “Is your prescription of distance running shoes evidence-based?", méta-analyse de plusieurs études sur la question des chaussures et de la course à pied, qui avance :
“The prescription of (distance running shoes featuring elevated cushioned heels and pronation control systems tailored to the individual’s foot type) to distance runners is not evidence-based.” (https://bjsm.bmj.com/content/43/3/159.full)
En clair : aucune évidence scientifique de la nécessité d'élever le talon, d'y mettre un coussin protecteur ou encore de corriger la foulée.
C'est d'ailleurs aussi le discours tenu dans La Clinique du Coureur : osez le minimalisme, et ne vous laissez pas amadouer par les discours marketing des vendeurs.
Les allégations de la majorité des fabricants de chaussures modernes, des chaussures en grande partie maximalistes, n'ont pas de fondements scientifiques.
Et
Ces “avancées technologiques” sont mises en avant sans être soumises à un processus d'analyse scientifique. Pire : elles sont sans doute responsables de l'altération de nos biomécaniques protectrices et potentiellement des blessures.
Dois-je passer aux chaussures minimalistes ?
Ici, je me contenterai de paraphraser la philosophie de La Clinique du Coureur : si tout va bien avec vos chaussures actuelles (i.e. vous n'êtes pas blessé) et que vous ne cherchez pas à modifier vos performances… Restez comme ça !
Dans le cas contraire, ou si tout simplement comme moi vous êtes curieux et/ou attiré par la philosophie minimaliste, il est peut-être temps de sauter le pas ;)
Choisir ses chaussures minimalistes
La Clinique du Coureur a mis au point un outil permettant de calculer l'indice minimaliste d'une paire de chaussures. Parce que oui, il n'y a pas que les Five Fingers dans la vie : d'autres chaussures, sans orteils, entrent tout autant dans la catégorie “minimalistes”.
Cette échelle s'organise autour de 5 points :
- Épaisseur au talon : plus cette mesure est basse, plus la chaussure est minimaliste.
- Poids : plus la chaussure est légère, plus elle est minimaliste.
- Flexibilité : plus la chaussure se “plie” dans le sens de la longueur, plus elle est minimaliste.
- Drop : plus le drop est faible, plus la chaussure est minimaliste.
- Technologie de stabilité : moins la chaussure possède de technologie, plus elle est minimaliste.
Et dans la série “chaussures à l'indice minimaliste élevé”, on trouve (pour le trail) :
- Des Five Fingers de chez Vibram : notamment la VTrail 2.0 (92% d'indice minimaliste)
- Quelques paires de chez Inov-8 : Trailroc 150 F (88%), Trailroc 150 (86%), Trailroc 235 F (86%)
- Chez Merrell : Trail Glove 4 Knit (86%)
- Les Trail Freak de chez Vivobarefoot (84%)
- et plein d'autres…
Bref, vous avez le choix !
Et dans la pratique
“C'est bien beau Colin tout ça, mais toi qui cours avec depuis quelques mois, tu en penses quoi ?”
Tout d'abord, mon avis ne vaudra pas celui d'un professionnel, donc la fin de ce billet est à lire comme le retour d'une seule personne, pas comme un conseil scientifique.
Première sortie
Pour tout dire, je suis très convaincu par la Five Fingers. D'abord, parce que j'aime la philosophie qui se niche derrière : notre pied EST la technologie. Aussi, parce qu'à l'usage, la chaussure fait vraiment la différence. À peine quelques mètres courus avec et la première réflexion que je me fais est “purée, mais mon dos se met naturellement plus droit que d'habitude". Même chose du côté de mes pieds, qui spontanément adoptent une foulée plus médio-pieds. Bref, plus proche de ce qu'on entend être la “foulée naturelle”.
Temps d'adaptation
Je passe ma vie pieds nus (merci le télétravail de longue date), donc je ne suis certainement pas représentatif de la plupart des coureurs qui tenteront les Five Fingers, mais l'adaptation s'est faite assez rapidement.
Aujourd'hui, après bientôt 6 mois d'utilisation, je peux confortablement courir 15 km de chemin avec ces chaussures aux pieds. Et j'espère bientôt pouvoir tenter des trails un peu plus long ! Ma routine pour m'adapter à ces chaussures a été la suivante : une sortie par semaine au départ, de 3 à 5 km, puis progressivement, monter à un kilométrage un peu plus long, avant de passer à deux sorties/semaine.
Côté confort, je me sens vraiment bien dans ces chaussures, et j'apprecie beaucoup le contact très direct avec le terrain, surtout en forêt.
Seul point négatif : bien sûr, vous êtes quasiment pieds nus, donc le tronc qui dépasse qui vous frappe l'orteil… c'est un risque à prendre. Mais ça m'apprendra à être plus vigileant ;)
Et après ?
J'avoue que j'ai un petit faible pour les sandales de running, notamment celle de chez Panta Sandals.
Affaire à suivre !