[C'est arrivé près de chez vous] L'Ultra Trail di Corsica by Restonica
Salut à toi internaute qui tombe sur ce post parce que tu envisages de faire l’Ultra Trail di Corsica de la Restonica, je vais commencer par te révéler un secret — cette course est beaucoup plus difficile que ce que tu crois.
Comment je le sais ? Je suis passé par là.
La Corse, je connaissais un peu. J’avais même déjà randonné avec femme et enfant à la Restonica. Les cailloux, je m’y attendais. Mais 110km de terrains techniques avec (presque) aucun moment de répit, je dois avouer que je m’y attendais un peu moins.
Top départ
Départ de la Bretagne le mercredi matin, très tôt. On est la veille de course et je me dis que j’aurais peut-être dû prendre un ou deux jours de congés supplémentaires, mais il est trop tard pour changer d'avis.
Bus, métro, train, métro, RER, avion, train, et me voilà arrivé à Corte, sous le soleil corse qui tape déjà fort. Je rejoins Nico et Julien au Airbnb, je pose mes valises et nous partons marcher un peu dans le village. Déjà, ça grimpe. Déjà, des cailloux. Ça n’augure rien de bon, et la course saura me le prouver.
Let's go
Deuxième jour en Corse. On est jeudi et la course débute ce soir. On descend chercher nos dossards. Le soleil cogne, toujours, dans ces rues qui ne peuvent pas s’empêcher de grimper.
Dernière vérification du matos. Photo du racepack pour Instagram. Purée, il en faut du bordel quand tu comptes passer 40h dans la montagne.
22h50.
Le départ est proche. Le speaker annonce 380 inscrits. Nous ne serons que 344 partants. Et il y aura 228 finishers.
23h.
Le départ est donné.
Nous partons de la rue principale Corte qui est blindée de spectateurs. Des fumigènes rouges sont craqués. L’émotion est forte, c’est assez incroyable de partir au milieu de cette foule qu’on entend crier au travers des fumées rouges dignes d’un 14 juillet.
Corte > Boniacce
Nous traversons la ville. Un peu de béton, mais si peu. Très vite, on rentre dans le vif du sujet — on va se manger 1400m de D+ pendant 6 bornes.
Si vous vous demandiez ce que ça fait de se claquer un kilomètre vertical à l’heure ou tout le monde va se coucher, j’ai la réponse : ça réveille. On part pour rejoindre le mont Padule. Ici, l’UTC souffre de la maladie de tous les trails : 350 traileurs lancés sur une single, ça crée des bouchons.
On monte tous en rythme, on prend le temps d’apprendre par cœur les motifs des chaussettes du concurrent devant nous. On appuie sur les bâtons pour rejoindre le premier ravito. La frontale guide les pas. La nuit sera longue.
Une fois en haut, un peu de plat, ce n’est pas refus. Une poignée de kilomètres à travers des chemins de forêt. Un autre ravito. Chocolat noir, banane, et on redescend. Merde, mes bâtons. Demi tour, partez devant les copains, je vous retrouve.
Boniacce > Calacuccia
Le chemin descend à travers la forêt. La pente est sèche, les racines vous sautent sous les chaussures sans prévenir.
Sans surprise, si on est montés, on va redescendre (le cycle de la montagne), longtemps. 800m de D- (ou presque) sur à peine 6 km. On appelle ça comment l’inverse d’un kilomètre vertical déjà ?
Le jour se lève tranquillement. Les premiers rayons sont là, mais la frontale reste allumée : partout, des racines, autant garder l’oeil ouvert.
Je retrouve Nico (qui m’avait doublé dans la descente) au ravito suivant, celui du petit dej : Calacuccia. Ravitaillez-vous copieusement ici — la prochaine portion est longue. Très longue. Et dure. Très dure.
Calacuccia > Bocca Crucetta
Rien qu’au regard du profil, on se doutait que ça n’allait pas être une partie de plaisir. 11km, 1500m de D+. Et dans la foulée, on accroche le GR20.
La première partie de l’ascension se fait tranquillement. Chemins de randonnée et pistes de 4x4, ça monte dur mais rien d’inquiétant. Arrive le moment où les choses se corsent. On est à peu près au km 35, et la mer de cailloux commence. Elle ne nous quittera plus de la course.
Ça y est, nous voilà dans la caillasse. L’altitude me coupe un peu le souffle, et nous sommes en train de faire de l’escalade — ce n’est plus un chemin, c’est un mur, et on doit prendre le temps de chercher les prises. Autant dire que la vitesse moyenne est basse.
On arrive sur le lac du Cinto. Magnifique, mais ça se mérite ! Quand le chemin débouche, tous les coureurs s’arrêtent, estomaqués. Par la vue, certainement, mais surtout pour la difficulté qui se présente : un mur de gravier. Littéralement. Jamais « un pas en avant deux pas en arrière » n’a trouvé meilleure matérialisation.
On pousse sur les cuisses, tout le monde tombe, on reçoit des graviers et des cailloux de ceux devant nous. On en envoie probablement à ceux de derrière. La lutte.
Bocca Crucceta > Ballone
Ça y est, nous voilà en haut : Bocca Crucceta.
On a mis plus de 4h30 à monter, et nous voilà sur le point culminant de la course (2415m), et sur le GR20. Arrivé en haut, je glane un verre d’eau aux bénévoles. « Désolé, pas de vrai ravito, on a tout monté en âne déjà ! » On profite quelques secondes de la vue, on prend un selfie… et go pour redescendre.
Si vous avez déjà fait le GR20, vous savez dans quel calvaire nous venons de nous embarquer. Le sol est soit de la roche, soit du cailloux. 3.5km avant le prochain ravito, 1010m de D-. C’est quoi l’inverse d’un kilomètre vertical déjà ?
On boit un peu dans les ruisseaux, on croise un coureur qui est tombé et s’est ouvert l’arcade. Les secours sont en chemin, mais vu le terrain, ils ne seront pas là de sitôt. Nico voit un refuge et va chercher un Coca et un Perrier. On arrive au ravito.
Ballone > Viergo
Je décide de me poser au ravito pour reprendre des forces. Nico repart, il veut être au prochain avant 18h. Je lui lance : « Je te rejoins là bas », mais on ne se reverra pas de la course.
Autour de moi, l’hécatombe. Plein de coureurs arrivent et annoncent qu’ils abandonnent. Ils sont accueillis par « on ne peut pas vous rapatrier ici, il faut aller au prochain ravito à 15km ». Un coup de massue sur les corps épuisés.
Je reste là un trentaine de minutes. J’alterne oranges pour les vitamines et bouillon pour le sel. Je m’allonge 10 minutes, ne dors pas, remet de la Nok, avale une tranche de pain, et repart.
Je reprends un peu mes esprits (et mes forces). Quelques kilomètres de répit (tout relatif) à travers la forêt (couverte de racine), avant d’une nouvelle fois entamer l’escalade. Je blague avec un coureur, « en fait, pour préparer la Restonica, il faut randonner et de faire de l’escalade ». La nuit à venir me confirmera que ce n’était pas une blague.
Il m’aura fallu un peu plus de 2h pour faire les 5km qui rejoignent le ravitaillement suivant, Ciottulu di i mori. La moitié de la course est faite, et la vue est magnifique.
Je profite quelques instants, et j’entame la descente. Sur le papier, une portion cool. En pratique, toujours la même rengaine : impossible de mettre un pied devant l’autre sans avoir des appuis qui partent en vrille à cause des cailloux. Pas trop le temps de regarder le paysage, par contre je connais mes pieds par cœur. La fin d’après midi est douce et je rejoins Vergio, où m’attend mon sac d’allègement.
Viergo > Bocca Alle Porte
Nouvelles chaussettes, nouveau short, nouveau t-shirt. Je remets quelques barres dans le sac et vide les déchets. Une bonne pause de 30 minutes. Du bouillon, de la banane, du chocolat. Je renvoie mon sac vers Corte. Autour de moi, une poignée de coureurs attendent la navette qui les ramènera à Corte. Pour eux, un DNF.
On poursuit en chemin forestier. Ça grimpe doucement, toujours ces foutus cailloux mais on finirait presque par s’y habituer (non). Je tombe nez à nez avec une vache et son veau qui bloquent le chemin, dois attendre quelques minutes que la voie se dégage. Je me perds (pas facile de se repérer en pleine nuit), puis retrouve un petit groupe que je rejoins pour continuer notre route vers le lac Nino.
On passe sous un orage, la pluie tombe, les éclairs strient la nuit. On se questionne si la course va être arrêtée pour cause d’orage. On nous confirme au ravito que non. Mais aussi que nous ne sommes pas au bout de nos peines : la prochaine portion va être salée. Avant, quelques kilomètres de chemin sur un plateau. Il fait nuit noire.
Nous voilà en bas de Bocca Alle Porte. Bordel on était pas prêts. Quelle montée sévère. Encore, de l’escalade.
Les bâtons sont inutiles, et je mets à profit un an d’escalade en club. Il fait nuit noire. L’escalade à la frontale, après presque 90km et 25h de course, on était pas prêts. Je suis toujours dans le petit groupe forme plus tôt. Et heureusement — vu le parcours actuel et ses risques de chute, une montée en solitaire aurait été suicidaire.
On arrive en haut au levé du jour. La vue sur les lacs, au milieu des pierriers, est magnifique. Elle aussi, elle se mérite.
Bocca Alle Porte > Corte
On est à 2200m, il est temps de redescendre. Des cailloux, des cailloux, encore des cailloux sous les pieds.
On descend les gorges de la Restonica, jusqu’au ravito “chez Téo”. Dernière barrière horaire, et le plus dur est derrière nous. On fait le plein, on descend la route, et on s’assoupie 30 minutes. Une dernière ascension pour la route : 3km et 800m de D+. Chemin de forêt, ça grimpe dur, encore. On avance tranquillement mais sûrement. On se fait doubler par les concurrents de courses plus courtes.
Dernier ravito à la bergerie.
Puis, « 12km de descente » nous disent les bénévoles. On descend, avant d’entendre la vérité « oh c’est un peu vallonné hein ». Le chemin oscille entre racines et cailloux. J’envoie une dernière pique de motivation au groupe, plus que 6km. La joyeuse bande retrouve la force de courir. On arrive dans Corte. Les rues sont bondées, on descend la rue principale, les terrasses sont pleines, et les encouragements abondent.
Quelques larmes coulent aussi. L’émotion d’avoir dompté ce monstre. 44 heures et des bananes.
Bordel, quel chantier.
Ce que j'en retiens
Les plus
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Un super bon mental sur toute la course : pas de moment à se dire “j'en ai marre je vais abandonner”, je savais que j'allais aller au bout (sauf blessure ou barrière horaire).
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Pas de douleur, pas de blessure, pas de courbature : l'entrainement a été bien calibré.
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Pas trop de manque de sommeil, j'imagine qu'une nuit supplémentaire aurait par contre nécessité du repos.
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RAS niveau matos, ça a tenu la route.
Les moins
- Des cailloux, et encore des cailloux
Et pour la route…
Comme d'hab, la course se retrouve sur mon Strava :
Et quelques photos :